Trouver la femme sur la photo, c’est le défi que nous lance la documentariste Immy Humes avec son ouvrage illustré Une seule femme. Qu’elles soient athlètes, ouvrières ou révolutionnaires, ces femmes photographiées ont un point commun : apparaître seule au milieu d’hommes.
Pari réussi pour l'auteure qui souhaitait retracer plus d’un siècle d’histoire en un livre. D’une infirmière inconnue à Margaret Thatcher en passant par Marie Curie, l’ouvrage réunit cent photographies prises entre 1862 et 2020 et qui mettent en lumière des femmes, invisibilisées par un groupe masculin.
LE PATRIARCAT AFFICHÉ
Pour repérer les femmes présentes sur les photos, ouvrez l’œil ! Immy Humes l’affirme, ces clichés sont « une preuve irrévocable du patriarcat affiché ». Un patriarcat qui s’observe dès 1967 avec l’image de Kathrine Switzer, pourchassée et tirée par plusieurs hommes lors du marathon de Boston. Première femme à courir -et à finir- ce 42 kilomètres, elle s’est vue agresser à plusieurs reprises durant la course. Le cliché choisi par Immy Humes montre la jeune femme, alors âgée d’à peine vingt ans, poursuivie par trois hommes. Une image symbolique du rejet des femmes présent à l’époque, alors même que l’on entendait des discours extrêmement misogynes au sein du domaine sportif.
Dans le monde de la culture aussi, les femmes sont sous-représentées. En 2007 à l’occasion du 60e anniversaire du festival de Cannes, c’est Jane Campion, réalisatrice, qui posait seule au milieu d’hommes. De trente-et-un hommes, très précisément. Quelques années plus tard et alors que les mouvements féministes prenaient de l’ampleur, elle disait son espoir de voir d’autres femmes nominées. Pourtant en 2021, seule une autre réalisatrice s’est vue décernée un prix. Jane Campion assurait alors : « Les premières peut-être, mais sûrement pas les dernières ».
« A cette variété d’époques, de lieux et de contextes s’oppose une similitude : la constellation absurde d’hommes avec une seule femme, encore et encore... »
- Immy Humes
DES PREMIÈRES ET DES SYMBOLES
« Les premières […] peuvent avoir la vie dure et sont confrontées à une hostilité masculine forte », explique l’auteure. Car le livre met en avant des femmes courageuses, qui ont dû s’imposer dans un monde exclusivement masculin. Parmi elles, Andrea Moltey Crabtree. En 1982, elle était la première femme à plonger en eaux profondes ; mais surtout, la première plongeuse noire de l’armée américaine. La photographie la montre en tenue de plongée, entourée d’hommes la regardant avec mépris. Quelques années après ce cliché, un nouveau superviseur a interdit le poste aux femmes. Pourtant, ce que le monde retient, c’est qu’elle n’est jamais partie d’elle-même, et ce malgré les remarques quotidiennes qu’elle subissait.
L’ouvrage met en avant une autre catégorie de femmes : les symboles, celles dont on se souvient. Lucy Komisar est l’une d’entre elles. En 1970 dans un contexte de ségrégation sexuelle intense, la militante (et vice-présidente) de la National Organization for Women rentrait dans un bar fermé aux femmes. Alors qu’elle commandait à boire, les hommes présents se sont mis à l’agresser verbalement. Le cliché, immortalisé par le photographe Barton Silverman, a rapidement fait le tour du monde. Une cinquantaine d’années plus tard, parler de la lutte pour les droits des femmes ne va pas sans parler de Lucy Komisar.
Si l’ouvrage honore des figures puissantes ayant permis, à leur manière, l’intégration des femmes dans des groupes toujours plus masculins ; il met aussi en lumière la persistance du patriarcat dans nos sociétés. Pour autant, Immy Humes dit toujours son espoir de voir un changement se produire. Qui sait ? Ce livre le permettra peut-être.
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