En France, on compte 62 279 places de prisons opérationnelles pour 79 631 personnes incarcérées au 1er octobre 2024, soit 127% de taux d’occupation dans 186 établissements pénitentiaires. Ce problème ancré depuis 40 ans ne risque pas de se résoudre, malgré la création de dizaines de milliers de places de prisons. Un problème français, entre les politiques publiques devenues otages d’entreprise privées et le manque d'alternatives à l'incarcération.
À chaque fait divers, de nouvelles lois sont créées et augmentent le nombre de détenus en France avec des peines en moyenne plus longues. Entre 2006 et aujourd’hui, la durée moyenne des peines est passée de 8,6 mois à 11,2 mois sans que cette stratégie du ‘’tout carcéral’’ ne montre pas des résultats probants. En cas de sortie sans le moindre aménagement ni accompagnement, 63% des détenus sont à nouveau incarcérés dans les 5 années qui suivent. En parallèle, seulement 32% de ceux qui sont en sursis de mise à l’épreuve sont à nouveau incarcérés, une peine qui évite une condamnation en échange d’un comportement exemplaire sur une durée de 1 à 3 ans.
Cette solution est minoritaire dans l’appareil répressif qui préfère les peines de prisons même minimes. Pourtant, la Finlande, qui a l’un des taux de détention les plus bas d’Europe, a aussi un taux de récidive très bas après 50 ans de politique de réinsertion. La doctrine finlandaise s’est éloignée de la notion de châtiment pour se concentrer à rappeler l’individu aux normes sociales. L’objectif est de rendre le système judiciaire équitable, juste et légitime plutôt que dissuasif et craint. À l’inverse, la France réfléchit politiquement les questions judiciaires sans prendre en compte les travaux scientifiques qui prouvent l'inefficacité de ce système carcéral.
En 2023, seulement 8% du budget de la justice était attribué au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), une administration chargée d’assurer le contrôle des personnes suivies par la justice, favorisant la réinsertion des condamnés. En 2024, le budget alloué à la réinsertion et aux aménagements de peines a stagné avec 123 millions d’euros alors que le nombre de personnes concernées ne cesse de croître. Afin de désengorger les prisons, une loi de 2019 a introduit des mesures favorisant les alternatives à l’incarcération pour les courtes peines.
Mais on assiste déjà à un manque de moyens important dans cette branche, avec pour chaque conseiller pénitentiaire, entre 80 et 120 dossiers à traiter. Pour que le processus de réinsertion soit réellement efficace, il faudrait moitié moins de dossiers par agent. À côté de ce budget austéritaire, les dépenses allouées à la construction de 15 000 places, commencée en 2018, vont coûter 4,3 milliards d’euros d’ici à 2027.
LE JUTEUX MARCHÉ DES PRISONS
En 1988, Albert Chalandon, garde des Sceaux du gouvernement Chirac, veut ouvrir 13 000 places pour lutter contre la surpopulation en prison. Pour financer ces nouvelles places et éviter l’endettement public, il ouvre alors les portes des prisons au marché privé. Les prisons sont alors sous une forme de gestion public/privé où l'État conserve les fonctions régaliennes comme la gestion des prisonniers, mais où la restauration, la blanchisserie, le transport de détenus, et même la formation professionnelle sont aux mains du privé.
En 2024, 58 établissements sont sous la forme de gestion public/privé, soit près de la moitié des détenus français. Quatre groupes, dont Bouygues et Eiffage, se partagent les contrats, L’État peut donc construire des prisons via ces entreprises privées sans crédit de paiement. En échange, l'État se voit endetté sur 27 ans par le biais de loyer à verser à compter de la livraison de l’établissement. Ce qui apparaît comme un allégement des charges via l’ouverture au privé est en réalité un gouffre financier. Les intérêts des crédits contractés par les entreprises sont 2 à 3 points plus élevés que ceux dont bénéficie l'État. Une dette que l’État doit ensuite rembourser sur des contrats qui durent parfois 30 ans et qui incluent les frais de construction et d’entretien.
En 2023, le budget du ministère de la Justice pour la création de nouvelles places de prison était de 681 millions d’euros, dont 109 millions rien que pour rembourser les dettes accumulées. Une politique qui ralentit depuis 2017, mais les contrats signés sont à très longue durée et vont courir jusqu’en 2040. Cette politique de privatisation empêche donc le ministère de la Justice de financer de nouvelles formes de justice réparatrice ou de réinsertion. Un cercle vicieux qui ne risque pas de s’arrêter d’ici là. La création de nouvelles places de prison ne règle pas la surpopulation carcérale car la justice a tendance à emprisonner plus longtemps et plus régulièrement qu’auparavant. La réforme de la justice risque de mettre énormément de temps, car l'État est maintenant engagé dans des contrats à très long terme qu’ils devront respecter et qui accentuent sa dépendance au système carcéral.
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