“Elle troquera la sororité contre égo et préférera naviguer solo” , Fleh Media. Le désir féminin dans le rap francophone, féminisme ou faux-semblant ? «Il y a quelque chose de puissant quand tu fais de l’ego trip. Tu ne peux pas te sentir plus puissant que quand tu rappes ». L’étoile montante du rap francophone s’est confiée à Libération ce 20 janvier à l’occasion de la sortie de son nouvel album : Pourvu qu’il pleuve. La seule rappeuse francophone qui cumule deux disques d’or pour Antidote et pour Jolie Garce, a de quoi se sentir puissante… et les autres ?
DÉMASQUER UN "PURPLE" ET "FÉMINISME WASHING"
Entourée de femmes dans ses clips, Shay l’est beaucoup moins en studio. Alors on peut lui reprocher les zéro collaborations féminines pour ses trois albums. Un Purple ou feminism washing, c’est à dire un militantisme et un engagement de façade, semble être présent. Dans cet album, on n'y échappe pas, dès l’introduction on entend un pic contre Vitaa. Ce sont aussi les collaborations avec Niska qui dérangent et cet album ne déroge pas à la règle. Rappelons que le rappeur Niska est l’auteur de violences conjugales sur la chanteuse Aya Nakamura. Faire entendre la voix d’un homme violent et ne pas avoir de considération pour la victime : cette démarche peut être grandement remise en question à l’aune du #Metoo. “Je pensais pas que ça pourrait m’arriver à moi”, c’est en décembre 2020, qu’Aya Nakamura confirme les violences conjugales qu’elle a subit. Invitée par Léa Salamé pour son podcast “Femmes puissantes”, sur France Inter, elle a notamment expliqué qu’elle regrettait de ne pas avoir porté plainte. Les violences sont dites et pourtant balayées d’une collaboration par Shay qui se dit pourtant “féministe”. Le voile sur ce féminisme washing est tombé.
TROQUER LA SORORITÉ CONTRE L'ÉGO : UNE RÈGLE D'OR ESSENTIELLE DU RAP ?
Shay troque la sororité contre l’égo, c’est une évidence. Mais Shay crée la surprise dans une industrie du rap francophone où les femmes ne seraient bonnes qu’à chanter le refrain. Cependant, la rappeuse belge change ce rapport de domination auquel on s’est habitué dans le rap : les hommes qui rabaissent les femmes. Dans le premier titre Partie hier de son nouvel album, elle emploi une rhétorique inaudible par le passé, les hommes sont des catins : “Jolie go dans la caisse, j'fais galérer les mecs. En vrai, c'est des catins, y'a qu'l'argent dans ma tête”.
L'INDÉPENDANCE : NOUVELLE RHÉTORIQUE POUR UN RAP PUISSANT AU FÉMININ
Amour, sexe et voiture, les règles d’or de l’égo trip. Shay les reprend au féminin et ça fait du bien. L’imaginer au volant d’une Ferrari et les images collectives changent. Les représentations sont tellement importantes dans un monde où le féminin est invisible. Pas besoin d’être conduite par les mecs, on peut le faire toute seule. L’indépendance, Shay la revendique et se bat pour la conserver, surtout économiquement. Le dernier album est même produit par son propre label Jolie Garce Records, dirigé par une femme : sa maman. Changer la rhétorique et entendre la voix d’une femme puissante ça permet d’investir le lieu du rap avant considéré comme trop violent pour les femmes. Être une femme et faire de l’égo-trip, c’est tellement rare que ça en devient puissant pour celles qui y arrivent et qui sont respectées pour le faire. Être respectée : un impératif. Être insolente : l’arme pour briser le plafond de verre.
DÉSIR FÉMININ : UN DISCOURS PUISSANT MAIS CONTRADICTOIRE
Shay réussit à dominer les plus grands, renverser le rapport de domination. “J’aimerai qu’on soit plus, j’aimerai ouvrir plus de portes. En existant, c’est ce que je fais”. Shay est l’une des rares rappeuses dans le monde francophone à assumer d’être sexy et assumer d’avoir des propos qui dérangent dans le rap francophone. C’est pourtant essentiel puisque comme elle le rappelle pour Libération « le rap est écouté par autant de femmes que d’hommes, mais on refuse de voir des femmes sur le devant de la scène. Moi, en tant que rappeuse qui veut faire exister cette place, j’estime que mon rap est un acte féministe. En tant que femme, je demande juste de pouvoir être assise à la table ». Être assise à la table surtout quand il s’agit de parler de son corps, de son désir ou de sa sexualité. Parler de son désir en tant que femme, c’est presque jouissif. *
Faire entendre sa voix et son désir, Shay y arrive. Mais il faut revenir sur cette puissance que l’industrie du rap a du mal à concéder aux femmes et qui dérange hommes comme femmes. Shay est une étoile montante de ce rap, c’est incontestable. C’est impressionnant surtout dans un monde où les portes se ferment sur les femmes. Les critiques qui la visent viennent en bataille : son arrogance dérange les hommes tandis que son égo irrite les femmes. On peut se demander peut-être si troquer la sororité contre l’égo, c’est vraiment un essentiel de l’égo-trip ? Si des hommes peuvent le faire pourquoi elle ne pourrait pas ? En revanche, le paradoxe pointe le bout de son nez quand elle dit en interview qu’elle voudrait ouvrir plus de portes à d’autres femmes, ses zéro collaborations féminines continuent de nous chuchoter le contraire…
"FEMALE GAZE DU RAP" : QUAND LE DÉSIR LESBIEN VIENT TOUT REMETTRE EN QUESTION
Changer son rapport aux autres femmes n’est peut-être tout simplement pas compatible avec l’égo-trip. Pourtant, d’autres rappeuses partagent et ne sont pas moins puissantes. Lala&ce phénomène lyonnais de l’égo-trip. C’est le son Gargamel qui incarne le plus ses essais d’égo-trip. Des paroles détachées presque insolentes, la rendent énergique et
puissante. En plus de collaborer avec autant d’hommes que des femmes, elle fait du bien au rap en racontant un autre désir féminin : un désir lesbien. La rappeuse lyonnaise montre que donner de la force n’est pas une faiblesse pour l’orgueil, mais un courage et un puissant partage. Un “female gaze” qui fait du bien au rap. Etre une femme, métisse et lesbienne dans l’industrie du rap, ça n'a pas du être simple non plus. Pourtant elle s’est battue pour trouver sa place. Son égo trip à elle ? Des femmes qui sexualisent d’autres femmes, on ne l’entend pas beaucoup ça et surtout dans le rap. À la place, ce sont les hommes qui parlent du corps des femmes partout tout le temps. Lala&ce y remédie. Dans ses sons, on entend son désir pour d’autres femmes.
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