Ce mercredi 27 mars au théâtre de l’Oiseau-Mouche de Roubaix, on entendrait une mouche voler. La salle est pleine mais le silence est de mise alors que Martyre, un spectacle signé Malika Djardi s’apprête à commencer.
L’artiste nous plonge d’ores et déjà dans le décor : méticuleusement, elle décrit l’EHPAD où réside sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Tout le long de la représentation, Malika s’attachera à raconter le cas singulier de sa maman, Marie-Bernadette Philippon pour qui la perte de mémoire a permis de faire émerger un nouveau moyen d’expression : celui du corps. Sa fille le dit : “Chez elle, il reste sa danse”.
RACONTER LA MALADIE D'ALZHEIMER À TRAVERS LA DANSE
Seule sur scène, Malika se met à nue ; elle danse, parle, fredonne, rit, court, chante, et nous, nous l’écoutons. La danseuse nous ouvre la porte de sa vie privée, ses angoisses, ses réflexions et sa faiblesse : sa maman. « Je sais jamais comment je vais te trouver, j’veux dire dans quel état physique et mental, et ça fait partie de la maladie ». De la prise de conscience d’un problème de mémoire chez sa mère à l’acceptation de la maladie en passant par le récit d’anecdotes cocasses, la jeune femme raconte à travers sa voix et son corps le processus que les deux femmes ont traversé ensemble.
Derrière Malika, des vidéos de Marie-Bernadette au restaurant, dans un parc ou dans sa chambre, sont projetées sur une toile blanche. Sur chaque séquence, sa maman paraît absente, échappée dans son monde ; celui de la danse. Elle laisse ses mains, ses bras et son buste tanguer au rythme d’une mélodie qu’elle seule peut entendre. Dans la tête de Marie-Bernadette, même les sons les plus banaux de la vie quotidienne forment une symphonie qui la pousse à rester active.
UN SPECTACLE HÉTÉROCLITE
Ce spectacle, réalisé sous l’égide de Julien Perrin, est par essence hétéroclite. Alliant des styles de danse contemporain, classique voire hip-hop, Malika Djardi rend un précieux hommage à sa maman en mobilisant des sens pluriels ; la vue ou l’ouïe. La création musicale de Joseph Schiano Di Lombo qui accompagne ce spectacle poursuit l’éclectisme engagé de Malika : de Schubert à Dr. Dre, en passant par Véronique Sanson et Rihanna : la musique offre un panel riche de sonorités qui fusionnent subtilement avec la chorégraphie. Ce spectacle est une déclaration d’amour : d’une fille envers sa mère, d’une jeune femme envers les aînées. C’est aussi une ode à l’acceptation de la différence, un message d’espoir qui pousse à ne jamais se laisser aller et à repousser constamment ses limites, même lorsqu’elles semblent infranchissables.
C’est avec le temps que Malika le comprit : le seul moyen de stimuler sa mère est de la faire danser. Dès lors, elle confia : « Y’a des choses qui s’en vont pour de bon. La mémoire c’est comme des strates, tu vois ses couches qui se délitent devant toi, des pans entiers s’effondrer. Et en même temps ce qui reste, c’est peut-être l’essentiel. Chez elle, c’est ce rythme qu’elle fait exister dès qu’il y a de la musique, ou même sans. Il reste sa danse ». C’est à travers cette représentation qu’est mise en lumière le caractère singulier de la danse : une énergie libératrice des corps.
Cette pièce encourage à voir la souffrance et la marginalisation non pas sous un prisme de résignation, mais comme une opportunité de s’exprimer différemment. Ici, la maladie de Marie-Bernadette lui a permis de se révéler et de se (re)découvrir en tant que Femme.
Commentaires