Lorsqu’on évoque les femmes dans le djihadisme, on imagine directement les épouses des hommes radicalisés, forcées de partir, elles et leurs enfants, loin de leur patrie d’origine. Et pourtant, des femmes se radicalisent de leur propre gré, et participent à des attaques tout aussi violentes que les hommes. Et ce, depuis longtemps. Quels rôles occupent les femmes au sein de ces organisations pourtant très masculines ?
Les femmes ont toujours fait partie de l’histoire du terrorisme, dans son sens large. Elles ont été anarchistes, révolutionnaires, et maintenant djihadistes. Jessica Davis, dans son livre Women in modern terrorism de 2017, explique que “les contraintes idéologiques n’apparaissent pas contraignantes quant à l’inclusion des femmes dans le terrorisme moderne”. C’est une réalité qui, malheureusement, ne s’accompagne pas de statistiques précises. En effet, le manque cruel de données sur le sujet ne permet pas une étude complète de ce phénomène, et la plupart des ouvrages scientifiques à ce propos émettent des hypothèses.
POURQUOI LE DJIHADISME ?
Les femmes auraient souvent les mêmes raisons que les hommes de se radicaliser, selon certains auteurs. De fait, une des raisons principales pour se radicaliser est la recherche de sens et d’identité, indépendante du genre. La société occidentale dans laquelle nous vivons fonctionne avec son lot de valeurs et d’idéologies, qui, parfois, perdent certaines personnes. Surconsommation, prolifération des conflits armés, omniprésence des réseaux sociaux, autant de raisons qui poussent des individus, souvent très jeunes, à quitter leur pays et rejoindre, entre autres, la Syrie. En 2015, de nombreuses jeunes filles avaient quitté soudainement le Royaume-Uni pour se rendre en Syrie.
Ces départs s’expliquent néanmoins par d’autres raisons. Selon Jessica Davis, l’influence sociale et familiale a un impact prédominant sur ces femmes. Il suffit d’avoir un père, un frère ou un ami radicalisé pour que le processus devienne bien plus probable. En effet, intégrer ces groupes très masculins avec la protection d’un homme devient alors plus simple, et perd surtout en dangerosité.
L'INTÉRÊT DES GROUPES À ENRÔLER DES FEMMES
Les femmes représentent la moitié de l’humanité : elles sont une main-d'œuvre tout aussi précieuse que les hommes pour des groupes dont le but est d’instaurer un Etat islamique. Quels rôles se voient-elles attribuer au sein de ces groupes ? Le rôle le plus courant au cours de l’histoire et le premier attribué aux femmes est “l’attentat-suicide”. Cette pratique souvent associée à la cause palestinienne et les Intifadas est pourtant celle plébiscitée par l’administration des groupes pour les femmes. Elles étaient nombreuses au sein des groupes terroristes palestiniens, et membres de l’ancienne Autorité palestinienne, car comme les hommes, elles se sacrifient pour “la gloire du Jihad”, qui n’a pas de genre. Le Hamas, comme d’autres groupes tel qu’Hezbollah, n’appliquent cependant pas cette interprétation religieuse. Pourquoi alors envoyer des femmes effectuer une action si violente, qui mène inéluctablement à la mort ? La raison est simple selon Jessica Davis : les groupes terroristes acceptent d’inclure les femmes, mais pas à n’importe quel prix. Elles ne doivent pas pouvoir accéder à la hiérarchie et l’administration de ces groupes, elles sont donc envoyées à la mort sous couvert du statut de “martyre”. Ainsi, même s’ils utilisent la main d’œuvre féminine et prétendraient une volonté de parité, il ne faut pas sous-estimer la stratégie de ces groupes à se débarrasser des femmes afin de conserver leur hégémonie patriarcale.
PROPAGANDE ET RECRUTEMENT EN LIGNE
La modernité de la communication aujourd’hui, par l’émergence des réseaux sociaux, est un facteur prédominant de la radicalisation des femmes. Les membres féminins de l’Etat islamique, par exemple, ont pour rôle de prêcher leurs conditions et leur cause aux femmes du monde entier, en postant par exemple leur vie au sein du Califat sur des réseaux sociaux comme X, anciennement Twitter. A l’ère d’Internet, la majorité des recrutements de nouveaux combattants et combattantes passe évidemment par ces nouveaux réseaux, et cette propagande contribue à attirer de nouveaux profils, jeunes et féminins.
Sociologiquement, il est surtout important de rappeler que les raisons pour lesquelles les femmes intègrent des groupes djihadistes ne sont absolument pas interprétées de la même manière que celles des hommes. Jessica Davis explique que pour la plupart des chercheurs, si les hommes s’engagent, c’est par convictions politique et religieuse, tandis que si les femmes s’engagent, les raisons sont personnelles, comme l’influence d’un pair. Si le social networking peut évidemment influencer les femmes à s’engager, il en est de même pour les hommes. Cette différence de traitement nous amène à continuellement sous-estimer les facteurs politiques et religieux dans la radicalisation des femmes.
Enfin, un des intérêts principaux à enrôler des femmes est l’attention médiatique qu’elles engendrent. En effet, si un attentat suicide est perpétré par une femme, la toile et les médias s’émeuvent, et l’attention médiatique n’en est que décuplée. Le terrorisme reste, pour l’opinion publique, une affaire d’hommes, et témoigner d’une telle violence de la part d’une femme est choquant, voire incompréhensible. Cette différence de traitement médiatique impute les femmes dans de nombreux domaines, et la violence terroriste n’y échappe pas. Comprendre la radicalisation féminine n’est, in fine, qu’un défi supplémentaire pour les politiques antiterroristes occidentales.
Comments