Sorti aujourd’hui dans les salles de cinéma, le film Le Consentement, adapté du livre du même nom de Vanessa Springora, ébranle une nouvelle fois l’omerta autour de l’écrivain Gabriel Matzneff.
En 2020, l’éditrice Vanessa Springora bouleversait le monde littéraire en publiant Le Consentement, un livre dans lequel elle dénonçait les agissements pédophiles de l’écrivain Gabriel Matzneff dont elle a elle-même été victime à l’âge de quatorze ans. Trois ans plus tard, la réalisatrice Vanessa Filho traduit en images cette emprise tout en soumettant aux yeux du public une réalité toujours plus tue : l’impunité d’un homme réputé, sous couvert de talent.
METTRE L’INDICIBLE EN LUMIÈRE
L’élément central de cette relation, c’est l’écriture. D’abord celle de Matzneff dans ses lettres à Vanessa, puis celle de la jeune fille tout au long de leur "histoire d’amour". L’écriture encore, lorsque l’écrivain grave de sa plume leurs conflits dans son carnet noir, décrivant la “petite V.” comme une “jeune fille instable, rongée par la jalousie, hystérique”. Trente ans plus tard, les mots enfin, ceux de Vanessa Springora, lorsqu’elle décide d’enfermer le monstre manipulateur dans un livre.
Si le récit est sombre, il se noircit d’autant plus à l’écran. Avec un Jean-Paul Rouve métamorphosé dans le rôle de Gabriel Matzneff et Kim Higelin dans celui de Vanessa Springora, le joug prend forme sous les yeux des spectateurs. Sans trop s’éloigner de l'œuvre originale, Vanessa Filho met l’accent sur des scènes que l’on a du mal à regarder ; les relations sexuelles entre les deux protagonistes aussi bien que les sorties en “couple” à l’opéra. Mais la violence décrite dans le livre ne s’incarne pas seulement dans les images : les musiques trop fortes, les gestes brusques des acteurs et les voix-off des lettres écrites par Matzneff plongent le public lui-même dans cet engrenage infernal. Les scènes sont brutales, rongées de toute la pudeur que le récit conserve parfois ; une manière pour la réalisatrice de “dénoncer autrement les pratiques d’un homme encore trop influent”.
L’OMERTA DU MONDE LITTÉRAIRE
Les mots de Vanessa Springora prennent vie à l’écran pour illustrer une époque où la relation d’une mineure et d’un homme de cinquante ans a été dépénalisée au nom de la liberté sexuelle : lorsque Matzneff est reçu sur le plateau de l’émission "Apostrophes", on le qualifie alors de “collectionneur de minettes”, et quand Vanessa annonce à sa propre mère avoir quitté Matzneff, celle-ci répond “Le pauvre, il t’adore”. À cette période, l’écrivain recevra à plusieurs reprises la visite de la brigade des mineurs, sans jamais être rappelé à l’ordre. Ces scènes, notamment celles où le couple déjeune avec d’autres figures influentes de l’époque, apparaissent à l’écran comme de nombreux rappels sur l’acceptation des agissements de Matzneff par la société littéraire des années 80, “au nom de la libération totale des mœurs, du droit à la différence et des amours minoritaires”.
L’une des scènes finales du film, dans laquelle un invité de Vanessa Springora vante les mérites de l’écrivain, indique que le silence n’est à l’heure actuelle toujours pas levé sur les agissements pédophiles de Gabriel Matzneff. Pendant des décennies, l’écrivain a publié des écrits glorifiant ses actes pédocriminels, notamment le tourisme sexuel qu’il pratiquait en Asie et au cours duquel il “couchait avec des enfants de huit à douze ans”. Jamais inquiété, jamais dénoncé, Gabriel Matzneff a toujours assumé ses agissements et a même remporté de nombreuses distinctions durant ces dernières décennies, comme le prix Renaudot en 2013. C’est seulement en 2020 avec la sortie du Consentement que l’omerta du milieu de l’édition s’est doucement levée, laissant entendre victimes et témoins sur l’affaire Matzneff. Si une enquête a été ouverte en 2020 par le parquet de Paris pour “atteintes sexuelles et viols sur mineur de moins de 15 ans”, Gabriel Matzneff n’a à ce jour jamais été condamné, les faits étant tous prescrits.
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