Un tintement résonne tandis que les murmures des spectateurs se tarissent dans la salle de La Condition Publique à Roubaix. Pendant près d’une heure, accompagnée de la danseuse Marta Capaccioli et de la compositrice Cate Hortl, Lara Barsacq amène le public à repenser les codes et normes autour de la sexualité et du désir féminin.
La création de La Grande Nymphe est issue de l’aspiration de Lara Barsacq à réinterpréter le ballet russe de Nijinski L’Après-midi d’un faune et la musique du Prélude du même nom de Claude Debussy, eux-mêmes inspirés du poème de Mallarmé.
UN LIEN PUISSANT ENTRE LARA BARSACQ ET LES ARTISTES FÉMININES DES BALLETS RUSSES
Dans La Grande Nymphe, Lara Barsacq part d’une remarque simple : « À la fin du ballet de Nijinski le faune jouit. Mais nous, on s’est demandé si la grande Nymphe jouissait elle aussi ». Elle centre donc son spectacle sur « une femme qui a une force mythologique, une puissance, et qui est loin de la Nymphe comme on peut l’imaginer : futile, qui s’enfuit ». Cette divinité issue de la mythologie grecque est caractérisée par sa beauté et est souvent associée à un élément de la nature. Ce n’est pas la première fois que Lara Barsacq décide de s’inspirer et de déconstruire un ballet russe. Son premier solo, intitulé Lost in ballets Russes, rend hommage à son histoire familiale, en particulier à son père et l’oncle de sa grand-mère, Leon Bakst, ancien scénographe et costumier de ballets russes. De là naît chez elle une véritable attraction pour cet univers. Cette période marquante de l’histoire de la danse, documentée mais peu filmée, laisse place à l’imaginaire de la chorégraphe.
Lara Barsacq explique : « Très vite, je me suis rendue compte que beaucoup de femmes présentes à cette époque étaient très créatives mais n’ont pas perduré dans l’histoire ». Ce constat la pousse à développer une forme de sororité : « Quand on est une femme, on cherche nos héroïnes. Dans l’art il faut aller les chercher, elles sont là mais ce sont souvent les hommes qui les dessinent ». La chorégraphe éclaire ses spectacles d’un « manifeste féminin mais réalisé avec beaucoup de douceur ». Avec Ida don’t cry me love, elle rend hommage à la danseuse Ida Rubinstein, puis déconstruit Les Noces de Stravinski et aujourd’hui réinterprète le prélude de Debussy et le ballet de Nijinski dans La Grande Nymphe.
DÉCONSTRUIRE, DÉSTRUCTURER ET RÉINTERPRÉTER LES CLASSIQUES
« Love love love love... c'est bien l'amour mais moi je veux savoir ce qui vous excite » lance Marta Capaccioli au milieu du spectacle, interpellant les spectateurs sur leur perception de l’amour et les tabous autour de la sexualité dans notre société. La Grande Nymphe amène le spectateur à envisager le désir féminin en dehors des repères hétéronormés. Marta Capaccioli et Lara Barsacq mêlent leurs mouvements sensuels aux murmures de Cate Hortl dans les parties musicales du spectacle.
Le désir, émotion très personnelle, donne ici un sentiment de grande de liberté. Pour Lara Barsacq, il était important de pouvoir se dire : « voilà c’est quoi l’émancipation, c’est quoi un corps qui peut choisir ce qu’il veut », dans une représentation réalisée avec beaucoup d’amour et de douceur entre Marta Capaccioli et elle. Son idée était de « pouvoir déconstruire et réinterpréter, à la fois de manière formelle, mais aussi de manière ambiguë parce que Marta a son ambiguïté, ce qui est assez beau dans cette pièce ».
L’émancipation des corps est mise en valeur au travers des gestes fluides et voluptueux des deux danseuses, sans jamais entrer dans le champ de la vulgarité ni créer de malaise au sein du public. Les inspirations et l’héritage du ballet russe original émergent dans la dramaturgie et la chorégraphie et invitent à questionner notre perception de cette œuvre historique qui avait fait scandale à l’époque pour son érotisme.
METTRE LES FEMMES SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE
Au-delà de la déconstruction du ballet classique de Nijinski, Lara Barsacq place les femmes au cœur de son spectacle : « J’avais cette envie de pouvoir parler non pas d’une femme qui a existé, mais d’un mythe, de cette grande Nymphe, tout en abordant aussi le regard masculin porté sur les femmes. Je voulais les présenter comme elles sont, sans essayer de cacher la réalité. »
Récits et poésie se mêlent, des mots clés murmurés s’ajoutent à la réinterprétation du Prélude de Debussy par Cate Hortl. Les trois femmes s’emparent de la scène et se dévoilent en tant que nymphes avec leurs qualités et leurs défauts. Elles invitent à sortir des visions de la femme imposées par notre société. Lara Barsacq le dit clairement : « Dans La Grande Nymphe, il était question de parler de cette puissance mystique, de parler des femmes. On est toutes des Nymphes même si on ne correspond pas à celles qu’ont pu imaginer les hommes ».
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