Cinquante ans après sa création, le combat écoféministe s’intensifie à l’échelle mondiale ; porté par l’urgence des catastrophes écologiques actuelles. Le mouvement, régulièrement sous le feu des critiques pour son manque de protestations et d’inclusivité envers les minorités, voit émerger ces dernières années de nouvelles branches plus subversives, appelant à faire converger les luttes.
En 1974, la militante Françoise d’Eaubonne introduisait le terme d’écoféminisme au grand public pour la première fois dans son livre Le féminisme ou la mort. Germait alors l’idée selon laquelle l’exploitation de la nature et l’oppression des femmes résultent des mêmes mécanismes de domination perpétrés par les hommes, et doivent être combattues conjointement. C’est aussi car les changements climatiques touchent plus fortement les femmes que l’écoféminisme se veut défenseur des deux causes : selon l’ONU, le fait que celles-ci soient en charge de la majorité des activités liées à la nature est la cause principale de cette plus grande vulnérabilité.
DE L’ESSENTIALISME AU CONSTRUCTIVISME
En Europe et aux Etats-Unis, l’écoféminisme s’est régulièrement manifesté sous une perspective essentialiste. Recyclant des stéréotypes patriarcaux, cette branche du mouvement croit en l’existence de critères immuables attribués aux hommes et aux femmes dès leur naissance et prône l’idée de “femme-nature” et d’”homme-culture”. Ici, la lutte passe par l’adoption d’un green lifestyle entièrement mis en place par les femmes au sein des foyers et dans la société. Entre agriculture 100% féminine ou simples petits gestes du quotidien, il reviendrait donc aux femmes l’entière responsabilité de préserver la nature abîmée par les hommes.
Nombreuses sont celles qui ont rejeté cette idée “d’essence féminine” au profit du constructivisme. Pour elles, le concept de “femme-nature” est une construction sociale et historique qui relève uniquement du patriarcat. Si les deux mouvements s’opposent à l’hyper-capitalisme et aux conséquences environnementales de celui-ci, l’écoféminisme constructiviste caresse l’espoir d’une répartition des tâches écologiques entre hommes et femmes ; répartition qui passerait par le démantèlement du système patriarcal. Les constructivistes appellent ainsi à débarrasser les femmes de la charge mentale liée à l’écologie en sensibilisant les hommes à la question environnementale, et ce pour mettre fin à l’extraction des ressources naturelles.
ADMETTRE L'INTERSECTIONNALITÉ DU MOUVEMENT
Alors que la lutte est souvent blâmée pour son manque d’inclusivité et ses prises de position privilégiées et eurocentrées, nombreuses activistes tiennent à renouer avec les véritables racines du combat ; les actions écoféministes ayant commencé dans les pays émergents il y a une soixantaine d’années déjà. Là où les femmes jouent le rôle de nourricières et de pourvoyeuses d’eau, préserver l’écosystème est depuis toujours une nécessité. “L’écoféminisme est décolonial car il naît dans les pays du sud, de lutte de groupes de femmes qui combattent les entreprises néocoloniales souhaitant s’approprier les terres”, expliquait la militante Myriam Bahaffou pour le podcast Kiffe ta race. Pour les femmes paysannes, préserver la nature est nécessaire à leur propre sécurité : en temps d’opérations d’extraction ou d’artificialisation des terres, on observe une recrudescence des viols et agressions, mais aussi une détérioration des points d’eau et des champs forçant les femmes à parcourir des distances plus importantes pour se fournir en denrées.
De plus en plus de courants écoféministes soulignent l’importance de reconnaître l’existence d’un néocolonialisme environnemental impactant plus particulièrement les femmes. Du fait de leur rôle de pourvoyeuses mais aussi de leur exposition plus forte à la précarité, les femmes des pays émergents sont les premières touchées par les catastrophes environnementales. “Les gestes écologiques, c’est bien, mais le réel combat est à la source, contre le capitalisme et la consommation de masse. Il faut libérer les pays du sud des actions de l’Occident pour libérer les femmes”. Le mouvement, qui promeut l’égalité des sexes dans le combat pour un avenir plus vert, tente désormais de s’inscrire dans une démarche plus large de lutte pour une justice sociale et raciale.
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