Le nouveau rapport annuel du Haut Conseil à l’Egalité (HCE) a été publié ce 22 janvier 2024. C’est avec un constat choc que le rapport est introduit : le sexisme n'échappe à aucune sphère de la société, y compris Internet.
Cela fait désormais six ans que le HCE dévoile son état des lieux du sexisme en France. Six ans mais un bilan sensiblement similaire chaque année : “Loin de reculer, le sexisme s’ancre, voire progresse”.
Si l’année dernière le rapport mettait l’accent sur les biais sexistes des médias, cette année, il alerte vivement sur le retour en force des masculinistes sur les réseaux sociaux. Le HCE pointe “trois incubateurs du sexisme” : la famille, l'école et le numérique, marqueur de sa place grandissante dans nos vies. Un outil pouvant se révéler aussi bien révolutionnaire que réactionnaire.
UN PAS EN AVANT, DEUX PAS EN ARRIÈRE
La quatrième vague féministe est marquée par un paradoxe très fort : le mouvement #MeToo est contemporain à d’infinis débats sur le corps, l’attitude, les choix des femmes. Ces dix dernières années, le féminisme a pris une dimension tout autre avec l'avènement des réseaux sociaux. Les militantes ont su s’y faire une place et y ont trouvé de puissantes plateformes d’expressions; leur voix s'entremêlant avec les témoignages quotidiens de femmes du monde entier.
Comment expliquer que, depuis cinq ans, on ait vu à la fois la multiplication des contenus antisexistes sur les réseaux sociaux et la prolifération des comptes masculinistes revendiquant une admiration du patriarcat ? Les consciences semblaient pourtant avoir été percutées, les acquis semblaient proches et les mœurs prêtes à bouger. Comme toutes les révolutions féministes, #MeToo nous a libérées. Mais il a aussi donné l’impression que la lutte n'était plus nécessaire, laissant la possibilité à des discours antiféministes de s’installer et même de grandir. Aujourd’hui le masculinisme prospère sur Internet, l'anonymat conférant un large champ de liberté. Autre paradoxe, internet devient un espace distinct du réel, comme séparé du monde pourtant, il n’existe rien de plus ancré dans notre quotidien que nos écrans.
FORMÉS À LA HAINE DES FEMMES
L'antiféminisme est une idéologie qui s’oppose à celle du féminisme et qui prône une supériorité masculine. Elle émerge dès le XIXe siècle, lorsque la doctrine féministe commence à prendre de l’importance. Le terme est aujourd’hui désuet, remplacé par le mot masculinisme que l’on considère comme une branche contemporaine de l'antiféminisme. Le masculinisme n’est donc pas seulement une dérive numérique, c’est une idéologie qui prend racine à la création de l'émancipation des femmes.
Indéniablement, Internet se révèle être le meilleur allié du masculinisme dans une société où le sexisme est désormais publiquement proscrit. Au début, dans les années 2010, les masculinistes se cachaient, ils se retrouvaient sur d’obscurs forums afin d'échanger autour de leur haine des femmes. Dans ces espaces de discussion de niche, ils communiquent avec leurs propres vocabulaire, codes et blagues misogynes d’une extrême violence. Mais, comme l’explique Pauline Ferrari dans Formés à la haine des femmes (Ed. JC Lattès), depuis 2022 ils se font remarquer dans des couches plus émergées d’Internet, dans une sorte de mainstreamisation du masculinisme. Le projet était de se rendre visible, de convaincre en s’implantant massivement sur X (anciennement Twitter), puis sur Tiktok ce qui a entraîné un nouveau souffle, avec des adhérents beaucoup plus jeunes.
Aujourd’hui, le masculinisme a pris un tournant marketing et ses grandes personnalités tel qu'Andrew Tate vendent à tour de bras des formations et coaching privés. Ils sont parvenus à créer le parfait cercle vicieux : “ils attisent la haine envers les femmes, pour ensuite leur vendre des formations et solutions clés en main” dit Pauline Ferrari pour décrire ce mécanisme.
L'ENNEMI DU QUOTIDIEN
L’erreur serait de penser que le masculinisme n’existe que sur Internet, qu’il ne touche qu’une poignée d’illuminés à l’ego fragilisé. Le masculinisme met souvent le pied dans le “vrai monde” et il tue. La tuerie de l’Ecole Polytechnique à Montréal (1989), celle d’Isla Vista (2014) et celle de Toronto (2018) en sont des illustrations. Dans ces trois cas présents, les hommes ont revendiqué des idées masculinistes. C’est le danger de ces mouvements, il nous semblent irréels puisque nous n’y sommes pas exposés (grâce à la magie des algorithmes). On laisse alors ces discours se propager, prendre de l’ampleur. Pourtant, le discours se transforme en véritable doctrine et ne peut conduire à des drames. Le masculinisme n’est pas qu’un lointain concept, il est le prisme à travers lequel certains hommes envisagent toute leur vie.
L’implantation de ces idées est telle que, dans le dernier rapport du HCE, une partie y est consacrée (“c. Le masculinisme gagne du terrain” page 10-11-12). Ainsi, en 2023, 37% des hommes considèrent que le féminisme est une menace pour leur place et leur rôle. Le rapport du HCE ainsi que Formés à la haine des femmes cherchent tous deux à proposer des solutions afin de limiter au mieux la propagation de cette idéologie dangereuse et de lutter contre cet ennemi du quotidien : le sexisme. Cela passe évidemment par de la régulation, et donc surtout par une meilleure prise en charge du numérique, un secteur délaissé par les politiques.
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