L’Occident se targue d’être le grand défenseur du pluralisme politique et de la démocratie, saluant les courageux qui s’opposent aux régimes autoritaires. Mais lorsque des voix s’élèvent contre ses propres débordements, il n’hésite pas à déployer des stratégies de répression déguisées en maintien de l’ordre républicain.
Assise devant une tapisserie fleurie, veste rose et cheveux en arrière, Ioulia Navalnaïa est intervenue mardi 22 octobre sur plusieurs plateaux français à l’occasion de la parution des mémoires posthumes de son époux Alexeï Navalny. L’opposant numéro un à Vladimir Poutine, décédé en février 2024 en prison, avait entamé cette rédaction après une tentative d’empoisonnement en 2020, à laquelle il avait survécu de justesse. Au micro de Sonia Devillers pour France Inter, la veuve a pu évoquer sa vie de famille avant d’être rapidement interrogée sur l'État russe, “capable de mensonge à des niveaux qu’aucun autre Etat ne peut atteindre”. Cette citation d’Alexeï Navalny, reprise en chœur par les journalistes pour évoquer la répression mise en place par Moscou, illustre le traitement médiatique accordé aux Etats avec lesquels l’Occident entretient des relations conflictuelles.
Souvenons nous de la vidéo d’Arte publiée le 18 octobre et intitulée Russie, ceux qui s’opposent à Poutine dans laquelle la chercheuse Marie Mendras affirmait : “Les élections en Russie ne sont plus honnêtes depuis longtemps” et “Il n’y a plus de médias indépendants”. Comment ne pas penser alors aux élections législatives françaises de juillet 2024, remportées par la coalition du Nouveau Front Populaire mais ayant conduit un membre du parti Les Républicains au poste de Premier ministre ? Ou à Aurélien Viers, à l’époque directeur de la rédaction du journal La Provence, mis à pied en mars 2024 suite à une Une jugée trop critique du président Emmanuel Macron ?
Comment expliquer qu’entre 2021 et 2023, chaque prix Nobel de la paix célébrait des détracteurs des régimes russe, biélorusse ou encore iranien ? Et qu’en parallèle, le lanceur d’alerte australien Julian Assange était contraint de plaider coupable “d’obtention et de divulgation d’informations sur la défense nationale” afin de mettre fin à 14 années de bataille judiciaire, dont quatre passées derrière les barreaux en tant que prisonnier politique pour avoir publié des documents relatant de crimes de guerre commis par les Etats-Unis et leurs alliés en Irak et en Afghanistan ?
Condamner les méthodes totalitaires employées par le Kremlin et dénoncer les inexactitudes de son discours relève du bon sens. Ne pas remettre en question la répression déployée par des pays comme la France ou les Etats-Unis à l’égard de leurs détracteurs témoigne d’une condamnation orientée des atteintes à la liberté d’expression. Cette contradiction, loin d’être anecdotique, est un pilier des stratégies occidentales : la répression de la critique domestique se doit d’être accompagnée d’une haie d’honneur dressée pour les opposants étrangers. En réalité, les ériger en symboles de résistance n’est qu’une instrumentalisation opérée par l’Occident pour attaquer ses adversaires, comme la Russie ou l’Iran, et servir ainsi ses propres intérêts géopolitiques.
Quand Ioulia Navalnaïa ironise avec Sonia Devillers quant à son statut de “dangereuse extrémiste” décerné par le Kremlin, elle représente les “bons” opposants, ceux dont le combat est légitime. Pendant ce temps, les critiques internes aux régimes occidentaux, qu’ils dénoncent les dérives policières ou les incohérences gouvernementales, peinent de plus en plus à obtenir le même soutien. Militants antifascistes, activistes écologiques et simples citoyens exprimant des idées contestataires se voient placés dans la catégorie des “mauvais” opposants et qualifiés de menaces pour la démocratie. Difficile alors d’ignorer plus longtemps le deux poids, deux mesures dans le traitement des dissidents politiques par l’Occident.
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