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Photo du rédacteurVicky Garnier

DÉPÉNALISATION DE L’IVG AU MEXIQUE, AVANCÉE HISTORIQUE ET MENSONGE SYSTÉMIQUE

Le Mexique s’inscrit, dans la continuité de ses homologues argentins, colombiens ou cubains, dans une logique de modernisation de ses mœurs. Pourtant, si ces pays d’Amérique latine ont légalisé l’avortement, ce n’est pas le cas du Mexique qui l’a seulement dépénalisé sur l’ensemble de son territoire en Septembre dernier. 6 mois plus tard, et en l’état actuel des choses, il semble que « dépénaliser » ne soit pas un euphémisme choisi au hasard et que derrière cette décision, ce sont les droits de millions de femmes que l’État mexicain a bafoués.

© ANDREA MURCIA / CUARTOSCURO

Le Mexique incarne le pays le plus meurtrier d’Amérique latine pour les femmes, avec le triste record de 11 féminicides par jour dont 1% seulement est finalement élucidé. Au total, ce sont donc 4000 femmes mexicaines qui meurent chaque année pour la seule raison d’en être une. Le Mexique, c’est aussi 130 millions d’habitants parmi lesquels 80% se déclarent catholique. Ce pays intrinsèquement lié aux croyances et à la misogynie a donc inévitablement nourri un tabou sur la question de l’avortement. Selon Carolina, une de nos sources originaire de Cancún « une grande majorité des adultes sont contre l'avortement et les jeunes sont très divisés sur la question (50/50) ».



L’IVG AU MEXIQUE, UN DROIT ILLÉGITIME AUX YEUX DE LA JUSTICE ? 


Pourtant, la résolution adoptée en Septembre 2023 semblait montrer une volonté de la part du gouvernement mexicain d’agir pour de vrai. Après des années de mobilisations intensifiées dès 2020 avec l’émergence de groupuscules analogues à « Bloque Negro », dont les actions féministes radicales ont été soutenues par plusieurs centaines de milliers de militantes à travers le pays, les pressions ont peu à peu permit l’avènement d’une modernisation des mœurs. Le processus de décriminalisation de l’IVG au Mexique s’est initié en 2007 avec la possibilité d’avoir recours à l’avortement (sous des conditions très précises) à Mexico city. Finalement, ce sont 11 des 32 États mexicains qui ont progressivement dépénalisé cette pratique. Néanmoins, même si cette minorité d’Etats fédérés avait individuellement dépénalisé l’IVG sur son territoire, le code pénal fédéral prévalant sur les législations internes considérait toujours l’avortement comme un crime. C’est précisément sur cette qualification culpabilisante que la Cour Suprême mexicaine est revenue le 6 septembre 2023 en décidant de supprimer l’IVG comme délit pour motif d’anti constitutionnalité.


Allant de pair avec cette décision, des mesures novatrices ont été annoncées par l’Etat mexicain, notamment la possibilité d’avoir recours gratuitement à l’avortement dans tous les hôpitaux du pays. Pourtant comme souvent, les faits divergent profondément avec les promesses. Bien que supprimé du code pénal fédéral mexicain, l’avortement comme délit est toujours inscrit dans le code pénal de nombreux Etats fédérés, permettant ainsi le dépôt de plaintes (notamment de dénonciations) dans certains Etats. Le nombre de ces plaintes n’a pas chuté depuis Septembre dernier, et bien qu’une personne accusée d’avortement ne puisse plus être retenue coupable depuis la résolution, l’idée même qu’une plainte puisse être déposée contre elle ou qu’elle puisse avoir affaire à la justice pose question sur la sûreté de cette loi. Comme l’a expliqué Veronica Esparza, avocate du Groupe d’Information sur la Reproduction Élue (GIRE) et responsable d’organisations locales de la protection judiciaire, « la criminalisation ne se produit pas simplement par le fait que les femmes soient incarcérées. Cela va de l'impact qu'a le fait de les accuser d'un crime et de ce que cela signifie pour elles de passer par une procédure pénale ».



AMBITIONS THÉORIQUES VS ÉCHEC EMPIRIQUE, L’ÉTAT MEXICAIN FACE À SES PROMESSES D'ACCESSIBILITÉ FACILITÉE À L’IVG


L’accessibilité à des procédures d’avortement soi-disant « gratuites » et « dans tous les hôpitaux du pays » semble également semer le doute. Carolina Coches, étudiante mexicaine en première année d’architecture à Cancún a pu répondre à quelques questions pour Sororité. A ces promesses d’avortement facilité, elle déplore la difficulté de trouver des cliniques qui acceptent de prendre en charge les patientes ; « En raison de leurs convictions (catholiques ou sexistes), certains médecins refusent d’avoir recours à l’avortement. Si vous ne rencontrez pas la bonne personne, elle peut même entraver le processus ». Paradoxalement, le pouvoir judiciaire continue aujourd’hui de garantir le droit du personnel de santé à ne pas pratiquer l’avortement lorsqu’il invoque une « objection de conscience » ; en d’autres termes, l’Etat mexicain consent à ce que les convictions personnelles des médecins puissent se mêler au droit d’avortement. 


© AFP/ULISES RUIZ

Selon Carolina, le décalage entre ce que stipulent les lois, et ce qui est réellement mis en place est très marqué : « Il n’y a pas beaucoup de cliniques d’avortements, ou alors elles sont clandestines. Pour avorter en sécurité, il faut se rendre dans la capitale et payer : tout le monde n'a pas les moyens de le faire ». En effet, avec une superficie 4 fois supérieure à la France, et un revenu moyen de 13000 pesos (700 euros environ), il est inenvisageable pour beaucoup de femmes résidant au Mexique de traverser le pays pour interrompre leur grossesse. Carolina aborde le rare cas d’une de ses connaissances qui a pu avorter dans un hôpital public à Mérida « car elle était interne, qu’elle avait des contacts et que le médecin lui faisait confiance ». Bien souvent, les critères d’éligibilité à l’avortement requis par les hôpitaux publics sont d’une exigence telle, qu’il est presque impossible de voir son dossier accepté. Ces critères sont ceux du « viol ou de l'insémination non consensuelle », de « risque pour la vie de la femme », de « malformations congénitales graves », de « raisons économiques sérieuses » … Ainsi, le critère de disposer librement de son corps n’est en aucun cas stipulé, pas même depuis la loi de Septembre 2023.


De plus, le cas d’individus accusés avant Septembre 2023 de recours illégal à l’avortement n’est pas clarifié. Selon Veronica Esparza, certaines associations féministes telles que Las libres avaient identifié avant la résolution de Septembre, plus de 200 femmes incarcérées pour avoir pratiqué l’avortement. Rien ne prouve à l’heure actuelle selon la GIRE, que ces femmes aient toutes été libérées.



LA RÉSOLUTION DE SEPTEMBRE 2023, UN BILAN MITIGÉ SIX MOIS PLUS TARD


Ainsi, bien que grâce à la loi dépénalisante en vigueur depuis Septembre 2023 une baisse de la mortalité ait été observée, on comprend que la controverse toujours vive autour de la question de l’IVG au Mexique déstabilise grandement l’instauration de libertés solides et durables pour toute personne en mesure de procréer. Le manque accru de cohérence entre les annonces des dirigeants et leurs résultats, de même que la confusion des médecins entre convictions personnelles et devoirs professionnels n’arrange pas les choses et montre bien que l’avortement au Mexique, bien que dépénalisé, reste un point de discorde majeur au sein de la population et dans la sphère politico-gouvernementale. Patricia Olamendi Torres, membre du groupe de travail du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies sur les questions de discrimination en droit et à l'égard des femmes résume assez bien la situation actuelle des femmes au Mexique : « Aujourd’hui, cette nouvelle génération possède des droits. Enfin, en principe, car en réalité elles ne peuvent les exercer ». 


© Marco Ugarte/Associated Press

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