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Photo du rédacteurIvanie Legrain

AU RN, LA DÉDIABOLISATION PASSE PAR LA CAUSE DES FEMMES

"Quand ça l’arrange, le parti lepéniste fait mine de se ranger du côté des femmes". En 2019, Libération relevait déjà le féminisme de façade présent au sein du Rassemblement national. Alors que les élections européennes approchent pour Jordan Bardella et que Marine Le Pen prépare activement la présidentielle de 2027, le parti d’extrême droite affirme toujours plus de positions féministes, d'ordinaire réprouvées par ses membres.


© CYRIL BITTON

De Jean-Marie à Marine Le Pen, du chemin aura été fait. Si celui-ci a toujours défendu la “place naturelle” de la femme au sein de la famille et qualifié l’interruption volontaire de grossesse de “génocide français”, elle se disait en 2022 “sensible à la condition féminine” et voulant “inciter les femmes à prendre toute leur place dans la société”, évoquant notamment le harcèlement de rue et les déserts gynécologiques comme des freins à la liberté de la femme. Pourtant, force est de constater que son programme ne mentionne les femmes que lorsqu’il est question de reproduction et d’insécurité ; laissant croire que les droits des femmes ne seront pas la grande cause du potentiel quinquennat de Marine Le Pen à partir de 2027. Comment expliquer alors ses nombreuses prises de parole en faveur d’une libération des femmes ?


L’arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front national (FN) en 2011 a renforcé la stratégie de dédiabolisation engendrée en 1989 par le parti lui-même. Régulièrement pointé du doigt pour ses proximités avec le nazisme à sa fondation, mais aussi pour les propos polémiques tenus par son créateur Jean-Marie Le Pen, le FN a effectivement dû rebondir via une série d’actions visant à adoucir son image, comme en témoigne son passage au nom de “Rassemblement national” (RN). Gagnant en crédibilité ces dernières années en se présentant comme fervent défenseur du peuple et notamment des intérêts économiques de celui-ci face à la Macronie, le RN a dévoilé un nouveau visage plus acceptable aux yeux des électeurs.



FÉMINISER LE PARTI, ASSEZ POUR LE DÉDIABOLISER AUX YEUX DES FEMMES ?


S’il a plus ou moins su faire oublier ses positions autrefois ouvertement xénophobes, le parti peine encore à gommer son passé sexiste afin de convaincre les femmes. Mettre Marine Le Pen à la tête du groupe aurait certes pu suffir à gagner la confiance des Françaises, mais encore fallait-il que celle-ci soit du côté des femmes. En 2012, la fraîchement nommée cheffe du parti regrettait la “multiplication des avortements de confort” et proposait de “dérembourser l’IVG” pour alléger le budget de l’Etat. En 2018 également, l’intégralité des députés du Rassemblement national s’abstenaient de voter la loi n°2018-703 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes touchant principalement les femmes et les enfants. Même résultat lors de votes en faveur de la parité hommes femmes.


Renouvelant pourtant son programme en proposant une contraception gratuite et la réouverture de maternités ayant fermé, le RN a, ces dernières années, gagné en popularité auprès des Françaises. Succès retentissant en 2022 pour Marine Le Pen : en février, la candidate aux élections présidentielles affirmait désormais être pour le droit à l’avortement -bien que contre l’allongement du délai de 12 à 14 semaines, les députés RN ayant voté contre quelques jours plus tard lors du vote de la proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement, ndlr-, et était, en avril de la même année, qualifiée de féministe par 49% de femmes interrogées lors d’un sondage Ifop ; contre seulement 30% pour Emmanuel Macron. Affirmant elle-même que “l'élection présidentielle est l'occasion de porter ces préoccupations au sommet de l'État en élisant une femme”, Marine Le Pen promettait alors des réformes féministes en cas de victoire. Des promesses qui, deux ans plus tard, ne figurent toujours pas dans son programme électoral où les femmes sont uniquement évoquées dans les livrets “famille” et “sécurité”.


© MAXPPP


TAPISSER LA XÉNOPHOBIE D’UNE COUCHE DE FÉMINISME


L’engagement féministe prôné par le Rassemblement national de Marine Le Pen n’est en réalité qu’un cheval de Troie pour nourrir leur combat contre l’immigration et l’islam. Lorsque le parti évoque les droits des femmes sans lien direct avec de quelconques idées xénophobes, force est de constater qu’il ne fait pas mouche ; en témoigne sa piètre tentative de récupération de la lutte contre l’endométriose le 12 octobre 2023. Alors que la France insoumise avait réussi à faire reconnaître la maladie comme une affection de longue durée en janvier 2022, permettant son entrée dans la liste des ALD 31, le RN avait décidé, plus d’un an après l’adoption de cette résolution, de présenter de nouvelles propositions de loi ; notamment celle de “la reconnaissance de l’endométriose comme une affection de longue durée”. Une proposition d’autant plus ironique que seul un député du Rassemblement national était présent lors du vote de la résolution formulée par le groupe LFI. 


Cet instrumentalisation du discours féministe pour justifier une idéologie raciste a été baptisé fémonationalisme par la chercheuse Sara R. Farris ; qu’elle définit comme la “mobilisation contemporaine des idées féministes par les partis nationalistes  sous la bannière de la guerre contre le patriarcat supposé de l'Islam et des migrants du Tiers Monde en général”.  En 2016, Marine Le Pen déclarait par exemple avoir “peur que la crise migratoire signe le début de la fin des droits des femmes”, invoquant un soi-disant sexisme spécifique aux hommes immigrés (et musulmans) qui seraient ainsi responsables du harcèlement de rue ou encore des agressions sexuelles.



FAMILLE ET PATRIE


Soutenant des dirigeants anti-IVG, Marine Le Pen a dernièrement étonné en se disant en faveur de l’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution française, mais surtout en proposant la réouverture de maternités fermées, celles-ci étant aussi des centres où il est possible d’interrompre une grossesse. Pour Magali Della Sudda, autrice de l’ouvrage Les nouvelles femmes de droite, ce respect nouveau pour le droit des femmes à disposer de leur corps s’inscrit dans la continuité de l’idéologie raciste du parti et sert en réalité à promouvoir la “préférence nationale”.


Cette problématique de l’avortement ne figure cependant pas dans le programme politique du RN, alors que la question de la natalité y est elle bien présente ; et le lien avec l’immigration aussi. Affirmant qu’il est “bon pour la Nation d’encourager la natalité”, le parti propose de “réserver les allocations aux familles dont au moins un des deux parents est Français” pour “renforcer les familles nationales” et lutter contre le “laxisme migratoire” ayant “transformé le budget familial en mine de subventions pour des familles immigrées” venues en France pour le “large éventail de prestations sociales que le pays offre”. A l’instar du Front national d’autrefois, le Rassemblement national n’accorde de réelle importance qu’à la capacité reproductive des femmes françaises pour servir son projet de communauté nationale.



IDENTITÉ ET DÉMOCRATIE, L’ALLIANCE EUROPÉENNE


Au Parlement européen comme à l’Assemblée nationale, les députés du RN, réunis avec d’autres partis d’extrême droite européens comme l’Alternative für Deutschland (AfD) sous le nom d’Identité et démocratie (ID), s’opposent systématiquement aux textes en faveur des droits des femmes. C’est très fièrement que Jean-Paul Garraud, président du groupe ID, affirmait s’être “opposé à 60% des textes proposés au Parlement”. Parmi ceux-ci, des textes sur les droits des personnes LGBTQIA+, sur l’immigration, mais surtout sur les droits des femmes. Une opposition que Marine Le Pen justifiait auprès de France 2 : “l’intégralité des lois qui défendent les droits des femmes sont en réalité truffées de mesures pour aider les migrants”. Ainsi, lorsque le député socialiste Marc Tarabella présenta en 2015 une résolution visant à garantir le droit à la contraception et à l’avortement, les eurodéputés RN votèrent contre, la qualifiant “d’arme de destruction massive contre la démographie européenne”. 


© Charly Triballeau/AFP

Quand ils ne s’opposent pas directement, les eurodéputés du parti s’abstiennent de voter ; quand ils sont présents du moins. Lors du vote du projet de loi sanctionnant le harcèlement moral et sexuel au sein des Etats membres et de la Convention d’Istanbul contre la violence à l’égard des femmes, la plupart de la délégation du Rassemblement national au Parlement européen était en effet absente, l’autre moitié avait refusé de se prononcer. Même son de cloche pour la résolution condamnant la Pologne pour ses réglementations sur le droit à l’avortement en 2020.  Si auprès des Français, le Rassemblement national, tout à son entreprise de dédiabolisation, promet des mesures progressistes pour les droits des femmes ; au Parlement européen, il reste fidèle à ses vieilles habitudes. 




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